« Le vrai Graal, c'est l'image qu'on laisse derrière soi » : rencontre avec l'historien William Blanc

 

     À l’occasion de la sortie de son nouveau livre Le roi Arthur : un mythe contemporain aux éditions Libertalia, nous avons rencontré l’historien William Blanc, qui analyse l’évolution de la légende arthurienne du Moyen Âge à nos jours. Rendez-vous au Duc, troquet étudiant rétro avec banquettes en skai rouge et affiches Art nouveau sur les murs. À deux pas de la Sorbonne, où il a étudié l’histoire, on devine qu’il est attaché à ce bar, QG des soirées entre amis.

 

Vous rentrez d’une tournée à Tours. Où allez-vous faire votre promotion ? À quel public vous adressez-vous ?

 

    Je privilégie les librairies indépendantes. Mon livre est disponible en ligne, mais j’ai à cœur de maintenir en vie ces lieux à échelle humaine. Je ne vise pas un public en particulier, mais c’est sûr que Le roi Arthur, avec près de 600 pages, constitue un sacré pavé ! Je travaille aussi pour les enfants. Il y a peu, j’ai publié un livre sur l’âge d’or de la piraterie au XVIIIe siècle à destination du jeune public.

 

Certaines personnalités d’extrême-droite critiquent votre manière d’aborder l’histoire. Qu’avez-vous à répondre à ces attaques ?

 

          Il y a deux manières d’envisager l’histoire à mon sens. Une première consiste à l’appréhender de manière identitaire, à essayer de retrouver des racines dans le passé. C’est Nicolas Sarkozy quand il parle de « nos ancêtres, les Gaulois » par exemple, mais en quoi cela nous définit-il au XXIe siècle ? Ma conception de l’histoire est autre. Je la contextualise pour ne pas faire entrer ma vie personnelle dans cette démarche scientifique. J’ai été militant libertaire et c’est cet argument-là que l’extrême-droite a utilisé pour critiquer le livre Les historiens de garde que j’ai coécrit avec Aurore Chéry et Christophe Naudin qui, soit dit en passant, n’ont pas mon parcours politique. J’y critique ceux qui tentent de faire de l’histoire un roman national, comme Lorànt Deutsch avec son Métronome. On en a fait à tort un débat politique, alors que le vrai problème est celui de la méthode scientifique.

 

Pourquoi avez-vous choisi de parler de la légende du roi Arthur ?

 

          J’ai eu envie d’écrire ce livre en hommage aux jeux de rôle que je faisais avec mes camarades d’école. Chacun interprétait un personnage de la Table Ronde. A posteriori, j’ai voulu approfondir la question. Je pense que le mythe arthurien entre en résonance avec la fascination que les contemporains ont envers le Moyen Âge. Elle reflète nos peurs et nos espoirs actuels.

 

Arthur est donc un mythe selon vous, comment s’est-il construit ?

 

          Il est quasiment certain qu’Arthur n’a jamais existé. Si les premières traces écrites du mythe remontent au IXe siècle, c’est Geoffroi de Monmouth au XIIe siècle qui fait véritablement connaître l’histoire de la Table Ronde. Chrétien de Troyes et Robert de Boron en proposent plus tard une version teintée de religieux. Elle reste connue essentiellement d’une élite intellectuelle jusqu’à ce que la culture populaire américaine s’en empare dans les années soixante dans les bandes dessinées, au cinéma ou encore dans la musique.

 

Comment s’est effectuée cette entrée dans la culture populaire ?

 

          Marc Twain avec Un Yankee à la cour du roi Arthur (1889) a provoqué la transition. L’auteur à succès est parvenu à inscrire Arthur dans l’histoire américaine, en lui conférant une dimension politique semblable au contexte de la fin du XIXe siècle. Plus tard, les mouvements féministes, afro… ont su récupérer la légende pour en faire un récit fondateur de leurs causes respectives. Le soft power, l’influence culturelle forte que les Etats-Unis possèdent à partir des années cinquante, a permis de faire voyager le mythe mondialement. Par exemple, au Japon, le film Avalon (2001) en propose une version « japonisée ».

 

Le mythe arthurien semble évoluer avec son époque, quel serait donc le Graal de notre temps ?

 

          La légende reste floue, on peut y mettre ce que l’on veut. Cela explique que les différentes époques choisissent d’insister plus ou moins sur certains aspects du mythe, suivant les résonances qu’ils peuvent avoir avec le contexte. Tantôt, vous retrouverez l’idéal guerrier, tantôt la religion, la politique ou la place des femmes. Il me semble que la série Kaamelott d’Alexandre Astier fournit une bonne réponse à ce qu’est la quête du Graal moderne. Les personnages y sont stupides, le roi Arthur essaie même de se suicider, c’est bien loin de l’idéal chevaleresque ! Loin du symbole religieux, le vrai Graal, c’est l’image que l’on laisse derrière soi.

 

Propos recueillis par Alix Fourcade